La myxomatose du lapin
La myxomatose, poxvirose originaire du continent américain, a été reconnue à la fin du XIXe siècle suite à l'introduction de lapins domestiques. Bénigne sur ses hôtes originels, les lapins américains Sylvilagus brasiliensis et Sylvilagus bachmani,la maladie s'est révélée hautement létale pour le lapin de garenne, Oryctolagus cuniculus. A la fin des années 1940, pour faire face aux dégâts et aux destructions de milieux occasionnés par le lapin de garenne dans de nombreux pays, des essais d'introduction de la myxomatose eurent lieu en Australie, Nouvelle-Zélande, Ecosse, Suède et Danemark. Malgré une diffusion locale, le virus ne s'implanta alors dans aucun de ces pays. C'est en 1950 que la première introduction réussie fut effectuée en Australie. En France, le Professeur Armand-Delille introduisit le virus dans sa propriété de Maillebois en Eure-et-Loir le 14 juin 1952. Compte tenu des résultats enregistrés auparavant, le Professeur Armand-Delille pensait que l'épidémie se limiterait à sa propriété close de murs. Pourtant, dès l'automne 1952, des foyers de myxomatose étaient enregistrés dans plusieurs départements français et, à la fin de l'année 1953, la totalité du territoire français était déclarée contaminée. Le virus gagnait l'Angleterre en octobre 1953, l'Italie et l'Espagne en 1955-1956 et, à la fin des années 1950, toute l'Europe était contaminée.
La myxomatose est une maladie virale très souvent mortelle atteignant les lagomorphes et en particulier les lapins. Après une incubation d'une dizaine de jours, elle se traduit par une inflammation purulente des yeux puis par une tuméfaction qui gagne les autres organes. Il n'existe pas de traitement curatif efficace à 100 %. Le traitement des terriers par pesticides est trop délicat, et il est lui même source de pollution. Pour l'élevage, le seul moyen de protection est la prévention par vaccination des lapins. Le virus est transmis par de petites mouches qui se posent sur les yeux, les narines, l'anus du lapin, par des insectes suceurs de sang (puces et moustiques par exemple) d'où les pics d'infections en automne. Il est possible que le recul des populations de prédateurs (chasse, piégeage) ait contribué à la dispersion de la maladie par le fait que les animaux malades ne sont plus mangés rapidement, et qu'ils constituent, de même que leurs cadavres, une source importante de dispersion du virus dans l'environnement. Curieusement, dans les zones où le lapin a disparu, du fait de la myxomatose selon certains, des populations ont survécu dans des espaces non chassés, voire en ville. La maladie évolue généralement avec un cycle d'environ 3 ans, qui atteint un pic quand les lapins sont plus nombreux, avant de diminuer après des mortalités qui peuvent être importantes.
LE CYCLE ÉPIDÉMIOLOGIQUE DE LA MYXOMATOSE SUR LAPINS DE GARENNE
Les variations saisonnières et annuelles constatées sur le terrain sont la résultante de l'interaction de trois éléments : l'abondance des lapins, l'état immunologique (influencé par la structure d'âge de la population) et l'abondance et la diversité des vecteurs du virus (puces et moustiques). Ainsi, la multiplication des épizooties en été et en automne dépend non seulement de la prolifération des moustiques, qui sont de plus très agressifs à cette époque (nécessité de faire un repas sanguin avant l'hibernation ou pour permettre la ponte), mais aussi de la présence de jeunes lapins non encore immunisés. La condition physique de ces jeunes lapins et leur importance relative dans la population détermine en grande partie les taux de morbidité observés. A l'inverse, l'abondance des adultes immunisés permet de tamponner le développement du virus par épuisement partiel des vecteurs. Les simulies et les cératopogonidés interviennent surtout lors des épizooties printanières (19). Ces épizooties surviennent essentiellement après une année sans myxomatose, et touchent principalement les jeunes adultes qui n'avaient pas été immunisés au stade juvénile l'été précédent. Ces épizooties printanières se révèlent souvent les plus dangereuses pour la population, car elles compromettent aussi fortement la reproduction. A la fin de l'automne, en hiver et au tout début du printemps, la myxomatose est véhiculée principalement par la puce du lapin, Spilopsyllus cuniculi. Les principaux cas de transmission directe sont aussi observés à cette époque. Dans ce type d'épizootie la vitesse de propagation du virus est généralement faible.
CLINIQUE DE LA MALADIE
Deux formes cliniques sont reconnues :
(1) Une forme classique, «nodulaire ou myxomateuse», historique et typique, de 6 à 10 jours d'incubation, débouchant sur un myxome primaire au point d'inoculation du virus (base des oreilles ou périphérie des orbites le plus souvent). Il est rapidement suivi d'un gonflement inflammatoire et douloureux des tissus de la tête, accompagné d'une intense blépharo-conjonctivite aiguë : paupières tuméfiées, larmoiement abondant rapidement purulent. En quelques heures, le pus empêche l'ouverture de l'oeil. Deux à trois jours plus tard, l'inflammation s'installe en région ano-génitale qui apparaît gonflée, tendue, chaude et douloureuse, de couleur rosée, rouge puis violet foncé. Des myxomes secondaires de généralisation cutanée peuvent se former sur tout le corps mais préférentiellement à la base des oreilles et sur la face, donnant ainsi à l'animal une physionomie particulière : faciès «léonin» et oreilles tombantes. Il s'agit de nodules de consistance élastique (pouvant atteindre la taille d'une noisette), isolés ou confluents, froids, indolores à la palpation, faisant corps avec la peau, d'aspect exsudatif ; la réalité histologique en fait des pseudo-tumeurs ou pseudomyxomes.
Les signes cliniques «évidents» permettant d'identifier cette forme par un examen macroscopique sont :
a) la présence de myxomes proéminents et nombreux localisés essentiellement sur la face ;
b) de nombreuses lésions auriculaires amenant la ptose des oreilles ;
c) des difficultés respiratoires ;
d) la tuméfaction des paupières et la suppuration des yeux accompagnées ou non d'une conjonctivite ;
e) la forte oedémisation des organes génitaux.
La mort survient en une dizaine de jours (après le début des symptômes) par épuisement ; le lapin aveugle ne peut plus se déplacer ni se nourrir ; il est la proie d'infections secondaires ou meurt d'inanition, voire d'asphyxie par occlusion myxomateuse des premières voies respiratoires.
A côté de cette évolution aiguë, régulièrement mortelle, se rencontrent assez fréquemment des formes subaiguës mortelles en 20-30 jours, voire atténuées, et spontanément curables : apparaissent quelques petits myxomes de la face (bout du nez, paupières, base des oreilles), peu ou pas exsudatifs, plats et se desséchant rapidement pour donner une formation croûteuse. Celle-ci tombe environ 15 jours plus tard pour laisser une zone cicatricielle dépilée pendant plusieurs semaines. Mais des complications génitales (orchites, ovarites) accompagnées de stérilité et d'infertilité (le plus souvent temporaires) ne sont pas rares et compromettent alors partiellement le développement de la population.
(2) Une forme nouvelle, «respiratoire ou amyxomateuse», d'incubation plus longue (1 à 3 semaines), se traduisant par une atteinte oculaire (tuméfaction), génitale et surtout nasale, accompagnée d'un larmoiement et d'un jetage muco-purulent. Quelques taches congestives (rosées ou rouges) peuvent être perçues sur les oreilles, mais pas de lésions nodulaires cutanées. Des degrés de gravité évolutive comparables à ceux de la forme classique semblent survenir. Sur le plan macroscopique, ce type de myxomatose se caractérise par :
a) le nombre réduit des myxomes et la discrétion de leur développement ;
b) la tuméfaction des paupières s'accompagnant très vite d'une importante conjonctivite de type nettement purulent ;
c) la constance d'un coryza, d'abord discret et séreux puis important et muco-purulent, avec formation de croûtes qui obstruent les narines ;
d) la présence occasionnelle de lésions auriculaires consistant en de simples macules congestives, voire en petites suffusions ecchymotiques. D'abord décrite chez le lapin domestique en élevage industriel suite aux accidents de vaccination survenus lors de l'utilisation du S.G. 33 (6), cette forme clinique a été retrouvée par la suite en élevage traditionnel et sur le lapin de garenne. Quoique son origine soit discutée (mutation virale ou expression d'une forme latente non révélée jusqu'alors), ce type de myxomatose s'accompagne d'une modification des caractéristiques pathogènes du virus ainsi que d'une fréquence importante des stérilités et abandons de portées en élevage.
CONCLUSION
Si la myxomatose domestique en élevage traditionnel est directement liée à la myxomatose sauvage dont elle est le prolongement terminal, en élevage industrialisé une nouvelle forme de myxomatose possédant son épidémiologie propre semble s'installer. Son incidence économique apparaît néanmoins faible et la maladie peut être facilement enrayée grâce à un programme adéquat de vaccination. L'intrusion de la myxomatose nodulaire classique peut être aisément empêchée dans ce type d'élevage par la mise en place de barrières sanitaires et une désinsectisation régulière. En élevage traditionnel, l'impact est variable et dépend tout autant de l'environnement naturel (présence et abondance de lapins de garenne) que de la structure même des bâtiments agricoles. Une prophylaxie vaccinale n 'y est que rarement appliquée, alors qu'il s'agit de la seule forme d'action possible.
En nature, aucun moyen prophylactique ne permet une réelle action. Seule l'évolution de l'équilibre hôte-maladie amènera une atténuation des effets du virus dans les populations de lapins de garenne.
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